Jean-Pierre Jacob, mon chef, mon ami, mon mentor
La saison d’après, je décidais de retourner au Farçon sûr que le succès de ce lieu était désormais à portée de main.
Jusqu’en 2003, j’alternais les saisons : l’été je travaillais à Gordes et l’hiver à La Tania. Par là-même, je continuais de me perfectionner et de consolider l’aura du restaurant de mon père.
Cette année-là, Thierry Game me permit de rentrer dans l’établissement de Jean-Pierre Jacob, pour quatre saisons estivales consécutives où j’évoluais à tous les postes : d’abord en pâtisserie, puis au garde-manger et aux entremets avant de finir au sommet, à la rôtisserie.
Le Chef n’avait pas sa pareille dans l’art de former ses équipiers. Il m’inspira tout de suite de la sympathie, m’apprenant avec une générosité exemplaire à comprendre le produit avant de le travailler. Sous sa tutelle, je découvrais ce qu’un jeune chef tout volontaire qu’il soit ne peut découvrir qu’aux côtés d’un maître expérimenté :le juste équilibre entre la complexité et la simplicité.
Surtout, Jean-Pierre Jacob m’apprit à avoir confiance en moi, à persévérer quoi qu’il m’en coûte pour réussir dans mes entreprises. Chaque fois que je l’observais travailler avec sa brigade, je me prenais à rêver de devenir son égal – un homme compréhensif, naturel, aimant- si un jour j’étais amené à épouser à mon tour une carrière de chef.
Grâce à ses bons conseils, j’eus le cran d’entreprendre le défi de transformer Le Farçon. Plus question de se montrer timide face à l’ambition ; durant l’hiver 2003-2004, je repensais totalement la carte, et, après les vacances de février, la tartiflette et la fondue disparurent du restaurant. Étrangement, cinq jours plus tard, nous eûmes l’honneur de recevoir la visite d’un inspecteur du guide Michelin. Malheureusement, mon rêve ne s’est pas concrétisé à ce moment-là : je n’ai été récompensé d’aucune distinction, pas même une fourchette ! Alors j’ai continué à redoubler d’efforts dans l’apprentissage, chaque été, chez Jean-Pierre Jacob. Chaque fois que je m’éloignais du droit chemin, chaque fois que je doutais, ce nouvel ami trouvait les mots, les techniques pour m’aider à progresser. Mon acharnement ne connaissait pas de répits, je me remettais toujours à l’œuvre, apprenant en souplesse de mes erreurs.
En 2006, la concrétisation a eu lieu : j’avais enfin obtenu mon étoile au guide Michelin ! C’est Jean-Pierre qui, le premier, m’a appelé pour me féliciter lorsque j’ai décroché l’étoile, et c’est grâce à lui qu’au fond de moi j’ai le sentiment d’avoir réussi cet exploit. Comme un coach pousse son champion vers la victoire, l’aide à se remettre en question pour avancer, il m’a donné les moyens de puiser dans mes ressources pour me surpasser. Il pensait que, fort de ma récompense, je ne travaillerais plus pour lui. Il découvrit que pour moi c’était chose inconcevable. Il n’était pas question que je lui fausse compagnie sitôt le trophée décroché. Je repris du service au restaurant Le Bateau Ivre dès l’été venu.