Retour aux sources
Finalement, lors de mon retour en Savoie en 2000, j’ai décidé de ne pas renouer tout de suite avec l’hôtellerie. Je me suis dirigé vers la charpente, autre passion liée à mon père qui travaillait comme menuisier durant la saison d’été. Jusqu’au mois de novembre, j’assurai la fonction de manœuvre à Brides-les-Bains et j’étais fasciné par la dextérité que ce métier exigeait.
Ragaillardi par le déroulement de cette expérience positive, j’ai décidé de donner une seconde chance à mon rêve de grandes maisons. Voilà que je me lançais sur la piste des étoiles, prêt à prendre du service dans les sommets de la gastronomie. Malheureusement, la route n’était pas aussi droite et pavée d’or que je ne me l’étais imaginée. Sur mon chemin se bousculaient l’indifférence et les refus. Les démarches s’enchaînaient et se ressemblaient sans aboutir : nul ne souhaitait me prendre et mon voyage à la quête d’un poste dans le Sud commençait à s’essouffler quand, heureusement, la dernière porte que je décidais de pousser sur le chemin du retour me fut favorable. C’était en 2000, à Gordes, charmant petit village de pierre perché contre les monts du Vaucluse, au restaurant étoilé Les Bories.
Le chef Philippe Calandri me proposa de faire un essai dès le service du soir. J’étais en jeans et basket, mais qu’importe, je jouai le jeu à fond. Et ce fut payant car ce dernier me proposa de revenir dès le lendemain. Je n’eus que le temps de faire l’aller-retour pour chercher mes affaires et, déjà, j’étais embauché.
C’était fait : je venais d’obtenir le précieux sésame dans une maison étoilée ; la porte s’était enfin ouverte ! Je n’avais encore jamais connu cela. Le mot « mignardise » ne m’était pas même familier. Alors, quand le chef commença à me parler des menus « demi-pension » dont j’avais la charge, inutile de dire que je me sentais totalement désemparé. Pourtant, comme à l’habitude, je fis mes preuves en toute autonomie au poste de pâtissier. Durant ma saison, j’eus l’occasion de rencontrer Thierry Game, second actuel du restaurant gastronomique Le Bateau Ivre de Jean-Pierre Jacob, que j’allais retrouver un peu plus tard dans mon parcours.
Pendant cette année, un événement vint tout bouleverser : mon père me proposait de reprendre son restaurant. Je me souviens alors d’avoir hésité. Si je ne manquais pas de considérer la chance qui m’était offerte – tout le monde ne se voit pas offrir un restaurant par ses parents ! –, je nourrissais en même temps le projet de continuer à me former dans de grandes maisons, et l’idée de remiser cet espoir me tourmentait. Finalement, je me laissais convaincre de prendre la tête de l’héritage familial, au moins pour une saison. Ai-je eu tort ou raison? Une chose est sûre, ce fut le temps de grandes découvertes !
Ma première mission fut de recentrer la carte sur un concept véritablement régional. En effet, dès les premiers jours, je découvrais avec stupéfaction que mon père, qui n’était pas cuisinier, avait accordé sa pleine confiance à ses chefs saisonniers, lesquels avaient élaboré une carte pleine d’incohérence. Parmi les spécialités savoyardes, figuraient une fondue indienne, bourguignonne, vigneronne, bref une déclinaison de quinze plats différents n’entretenant absolument aucun lien avec le terroir. Je me suis donc fait fort de gérer la maison comme la mienne au risque de me mettre l’équipe en place à dos, car il ne fallait pas oublier qu’en plus d’être le plus jeune, j’affichais le désavantage d’être le fils du patron. Malgré mes appréhensions, tout s’est parfaitement bien déroulé.